Pourquoi et comment décarboner le secteur de la santé ?
PartagezTwitter
comment décarboner le secteur de la santé

Pourquoi et comment décarboner le secteur de la santé ?

Décarboner le secteur de la santé est l’une des priorités pour réussir la transition énergétique en France. Avec plus de 1,9 million de professionnels, il représente 7,2 % de l’emploi dans l’Hexagone selon le rapport publié en 2021 par le Think tank français The Shift Project. Au total, le domaine de la santé rejette 5,1 % des émissions de gaz à effet de serre en France et 4,4 % du CO2 dans le monde, d’après l’ONG Health without harm. Des taux qui peuvent peser lourd dans la balance et qui participent à la dégradation de la santé de la population. Réaliser une transition énergétique efficace devient donc une urgence pour ce secteur dont la mission principale reste de préserver la santé des habitants

Quel est le bilan carbone du secteur de la santé en France ?

Un bilan carbone difficile à évaluer

Il faut d’abord noter que le bilan carbone du secteur de la santé français est très difficile à estimer précisément. S’il représente environ entre 4 et 5 % des émissions de gaz à effet de serre en France, en dire plus est difficile. En effet, même si depuis 2010 la loi impose aux établissements publics (de plus de 250 agents) et privés (de plus de 500 salariés) de publier le bilan carbone de leurs activités, la majorité des organisations ne le respecte pas. Beaucoup sont incomplets : seuls 40 % des établissements publics et moins de 15 % des organismes de santé privés respectent la loi en la matière.

L’achat de médicaments représente près de la moitié des émissions de carbone du secteur de la santé

En 2021, The Shift Project a mené une grande étude pour tenter d’évaluer le plus précisément possible le bilan carbone de la santé française. Le Think Thank confirme les 5,1 % d’émissions dans le bilan français. L’achat des médicaments représente plus de 46 % de ces émissions de gaz à effet de serre. C’est donc sur ce point qu’il faut agir en priorité. En effet, “l’approvisionnement repose sur une chaîne de production très carbonée », précise le rapport. Le bilan carbone des grands laboratoires pharmaceutiques internationaux y est d’ailleurs lié.

L’achat de médicaments est suivi par les transports de patients et de visiteurs, qui représentent 20 %. Tous les déplacements des personnes se rendant dans un établissement de santé (hôpital, pharmacies, cabinet de médecin etc.) sont ici pris en compte. Les consultations libérales sont celles qui sont le plus polluantes : les patients qui se rendent chez leur généraliste ou un spécialiste utilisent à 82 % leur voiture. Au sein des hôpitaux, ce sont les déplacements des visiteurs qui sont les plus préjudiciables.

Les émissions dues aux consommations d’énergie comme le chauffage dans les cabinets médicaux, la cuisson des repas collectifs et la consommation de fioul pour les groupes électrogènes représentent le troisième poste d’émissions de gaz à effet de serre, soit 13 % de celles produites par le secteur de la santé en France.

Comment décarboner le secteur de la santé poste par poste ?

Achats : mettre en place des mesures pour éviter le gaspillage alimentaire, de médicaments et l’utilisation de matériel à usage unique

Les achats de médicaments, de matériel médical jetable ou encore de nourriture destinée aux patients sont à réorganiser en premier lieu. Surtout les médicaments, responsables de la plus grande part d’émission de gaz à effet de serre. Si le secteur de la santé dépend en grande partie de fournisseurs privés, soit les laboratoires pharmaceutiques, les constructeurs automobiles et autres agriculteurs, il peut tout de même agir en actionnant des leviers à sa disposition. Il s’agirait notamment :

  • D’introduire un cahier des charges incluant des obligations envers l’environnement.
  • Réduire le gaspillage alimentaire, estimé à 20 % par l’ADEME dans le secteur de la santé grâce à des actions mesurables.
  • Réduire l’impact carbone des repas distribués en privilégiant des producteurs de proximité et des produits de meilleure qualité.
  • Instaurer des politiques d’achats plus responsables tels que l’optimisation des circuits de transport ou encore le recyclage des produits usagés et la réparation des appareils informatiques.
  • Ne plus utiliser de gaz anesthésiants qui sont des gaz à effet de serre. Il est possible de les remplacer par du sévoflurane qui réduit de 73 % l’impact carbone.
  • Éviter le gaspillage peut aussi être une solution puisqu’il reste en moyenne 30 % de gaz dans les bouteilles après utilisation.
  • Limiter la surconsommation de médicaments (et donc le gâchis) en permettant la vente de certains d’entre eux à l’unité.
  • Privilégier le matériel réutilisable en termes de tenues en tissu, d’instruments métalliques et d’autres appareils.

Rénover le parc immobilier de la santé et limiter les dépenses énergétiques

Une grande partie du carbone émis par un bâtiment du secteur de la santé est issu du chauffage des pièces, de leur refroidissement et de la production d’eau chaude sanitaire. Améliorer l’isolation de ces espaces permet à la fois de consommer moins d’énergie, d’améliorer le confort des salariés du secteur comme des patients et de créer de l’emploi dans la rénovation.

Une autre piste est celle de privilégier la bio-climatisation lors de ces rénovations. Miser ainsi sur la circulation naturelle de l’air, l’ensoleillement et les éléments présents à l’extérieur permet de réduire fortement la consommation énergétique d’un bâtiment. Planter des arbres, réaliser des murs végétaux, jouer sur l’orientation des bâtiments pour refroidir avec les ombres et chauffer naturellement avec les rayons du soleil… Voici autant de conseils qui fonctionnent pour l’ensemble des bâtiments, quelle que soit leur taille.

Afin de prolonger les efforts fournis lors de la rénovation énergétique des bâtiments de la santé, instaurer des règles de vie visant à consommer moins est pertinent. Le rapport de The Shift Project conseille une température maximum dans les espaces de 22°C et de 24°C pour les locaux individuels. Les systèmes de refroidissement, eux, ne doivent être déclenchés qu’à 26°C. Ces gestes, qui sont pourtant très simples, ne sont pas encore régulièrement appliqués au sein des bâtiments publics de santé.

Enfin, la désignation d’un référent énergie au sein de chaque bâtiment pourrait aider à généraliser ces habitudes et à alerter sur les postes de perte d’énergie. En contact direct avec les salariés, il coordonnerait les efforts, recueillerait les idées et les constatations et accompagnerait la mise en place de nouvelles pratiques vertueuses.

La mise en place d’un plan de mobilité adapté au secteur de la santé

Un plan de mobilité co-construit avec les diverses parties prenantes d’une entreprise du secteur de la santé est l’une des solutions les plus efficaces pour engager le personnel. Il faut cependant mettre en place un grand nombre d’actions pour diminuer significativement l’impact carbone des déplacements autant côté salariés que côté patients et visiteurs. Le rapport cite, là encore, quelques pistes à explorer :

  • Faciliter le recours au vélo en installant des stationnements sécurisés, en déployant des pistes cyclables pour se rendre aux bâtiments et en aménageant des vestiaires et des douches disponibles pour les cyclistes.
  • Encourager le personnel et les patients à venir en transports en commun que ce soit en créant des navettes ou en participant à l’achat des billets.
  • Inciter au covoiturage entre salariés ou même en réalisant des partenariats avec les entreprises des environs.
  • Promouvoir le télétravail pour les postes qui y sont éligibles.
  • Installer des bornes de recharge pour les véhicules électriques.
  • Développer la télémédecine afin de favoriser les consultations à distance lorsque cela est possible. Cette mesure peut d’ailleurs être une solution pour favoriser l’accès au soin, les délais de prise de rendez-vous étant moins longs que pour les entretiens en physique.

Relocaliser la production des médicaments en Europe

Réduire la dépendance du secteur de la santé français à la Chine est, par ailleurs, primordial. En effet, 80 % des principes actifs contenus dans les médicaments consommés par les Français sont produits en Chine. Relocaliser la production de molécules essentielles à la production de certains médicaments au sein de l’Union Européenne permettrait donc de diminuer le bilan carbone de la production des médicaments.

Agir sur l’ensemble de ces postes d’émission de gaz à effet de serre permettrait d’atteindre les 5 % de décarbonation du secteur de la santé par an nécessaires pour limiter le réchauffement climatique à +2°C. Étape notable, en septembre 2022, la Fédération hospitalière de France a créé le comité de transition écologique pour les hôpitaux publics. L’organisation souhaite faire naître des propositions concrètes et ambitieuses pour encourager les établissements de la santé à mener des efforts en matière de transition énergétique. La Fédération a déjà publié une note en juillet 2022 concernant les obligations en termes de restauration durable. D’autres propositions visant à la décarbonation du système de santé et à destination des pouvoirs publics apparaîtront au fil du temps.